De Charlotte Bousquet, je connaissais la BD Rouge tagada et la série qui a suivi. Et puis une de mes anciennes collègues a posé là où tombent les anges sur mon bureau en me disant “je viens de lire ce bouquin, c’est un gros coup de coeur, et je suis sûre que tu vas adorer”. Et elle a eu raison.
Solange, Lili et Clémence. En 1912, ces trois couturières découvrent la vie parisienne. Solange épouse Robert Maximilien, qu’elle n’aime pas et qui est tyrannique mais qui lui apporte un certain confort. Elle s’occupe de sa vieille tante maussade. Lili, audacieuse et joyeuse, se produit comme chanteuse dans les cabarets. Clémence, jeune ouvrière, tombe éperdument amoureuse de Pierre. Mais la guerre arrive…
« La France est en guerre. La France a besoin de ses généraux pour gagner, de ses hommes pour se faire tuer et de ses femmes pour fabriquer les armes. C’est un mécanisme bien huilé. Et ni les Pierre ni les Clémence ni les Lili ni les Solange ne sont assez puissants pour l’enrayer. »
On est immédiatement plongé dans ce début du XXe siècle. Les extraits de journaux ou d’écrits d’époque qui ouvrent les articles contribuent à nous mettre dans l’ambiance. On parle un peu du front, mais surtout de ce qui se passe à l’arrière.
Et donc, surtout, de ce que vivent les femmes. Des bourgeoises, des ouvrières d’usines de munition, des veuves de guerre, des artistes, des journalistes… Tout le monde se croise dans ce livre. L’alternance de narration à la troisième personne, d’écrits de journaux intimes, de lettres échangées entre elles ou avec leurs hommes aux front nous permet de comprendre chacune, avec leurs angoisses, leurs choix et leurs contraintes.
Je crois que depuis que nous avons lancé le groupe Maternités Féministes, je m’intéresse de plus en plus aux témoignages de femmes, au vécu des femmes. Et même si on est ici dans la fiction (avec l’apparition de quelques figures historiques), c’est ce qui m’a le plus plu dans ce livre : suivre l’évolution de ces femmes. En particulier de Solange, qui a fui un père violent pour se retrouver sous la coupe d’un mari abusif, mais qui peu à peu va trouver la force d’écrire sa propre voix. J’ai trouvé ce personnage superbe, et ne l’ai pas du tout lu de la même manière que cette lectrice.
Au delà des destins individuels, ce roman est passionnant sur la condition féminine à l’époque, sur l’émergence d’un mouvement féministe.
« Le problème, c’est qu’aucun de vos droits n’est acquis (…). Votre pays vous craint. Jusqu’à ce que la guerre éclate, vous n’étiez que de petits êtres fragiles et innocents. Quand les hommes sont partis, vous avez pris leur place : vous avez dévoilé votre jeu. Vous n’êtes ni frêles ni dépendantes. Et vous êtes aussi compétentes qu’eux. Si j’étais eux, je serais un peu effrayée, tout de même… »
Et a, je trouve, des échos forts avec ce que nous vivons aujourd’hui. Je pense par exemple à ce passage sur une grève des couturières et ce qu’en dit Solange : « Les quotidiens évoquent la grève des midinettes avec une bienveillance teintée de condescendance : “ruée joyeuse”, “envolée”, les couturières qui protestent contre la vie chère et le samedi chômé sont considérées comme de jolies oiselles par les journalistes, non comme de vraies manifestantes. (…). C’est vrai qu’elles sont jolies et pimpantes, les cousettes, mais cela m’agace de lire partout cela. En même temps, je crois que c’est pour elle la meilleure façon de gagner la sympathie des gens. Légères, gentilles et grévistes. Cela sonne moins austère et moins menaçant que “revendicatrices et rebelles”»
Mais il ne faut pas limiter ce roman à un exposé sur la condition féminine, c’est avant tout un texte où le souffle romanesque est puissant, où on s’attache aux personnages, où on tremble pour certains d’entre eux. J’ai été émue aux larmes à certains passages. Un roman qu’on a du mal à lâcher.
C’est un coup de coeur.
Et comme on me pose souvent la question de l’âge… Ce roman est publié dans une collection pour grands ados. Et je pense en effet qu’il n’est pas destiné à des ados trop jeunes, d’un part en raison de la violence présente dans le texte (viol, descriptions dures du front…), mais aussi parce qu’on suit des adultes, et non des adolescents, avec leurs questionnement d’adultes. Je pense qu’on peut le conseiller à partir de 14-15 ans, ainsi qu’aux adultes.
Si vous voulez en lire plus sur ce roman, voilà la chronique de Sophie Pilaire.